Nous sommes donc revenues mercredi, sur le vol humanitaire d’Air Transat arrivé avec 36 tonnes de matériel médical ainsi que d’une vingtaine de médecins et infirmiers, le tout, coordonné par le CECI.
Malheureusement, l’avion a fait le voyage du retour qu’avec une soixantaine de passagers. Malgré la quantité de demandes à traiter et des moyens réduits causés par le tremblement de terre, il est inexcusable que le gouvernement fédéral ne soit pas en mesure d’accélérer le processus bureaucratique pour les citoyens canadiens qui veulent revenir au pays et qui ont perdu leur passeport dans les décombres de leur maison.
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Avant mon départ, je me posais la question : comment peut-on filmer ou photographier une telle tragédie humaine ? Je n’ai pas trouvé la réponse. Pour m’aider, j’avais dans mes bagages un livre de Susan Sontag Devant la douleur des autres que je n’ai pas eu l’occasion de feuilleter. J’avais les deux pieds dedans et peu de temps pour une pause réflexion. Je m’y attarderai dans les prochains jours.
Mais la question des médias, son comment, son pourquoi et surtout sa pertinence m’a tout de même rattrapé. Alors que nous étions encore à Port-au-Prince, mon collègue et ami le photographe Benoit Aquin m’a fait lire l’article « Haïti, le défi médiatique » du chroniqueur « médias » Paul Cauchon dans le Devoir dont voici quelques extraits :
« Haïti, le défi médiatique »
Paul Cauchon, 18 janvier 2010
« La catastrophe en Haïti pose de véritables défis médiatiques. Défi de la pertinence, du respect, défi aussi de bien mettre en contexte les informations sans sombrer dans le voyeurisme.
« C’est le genre de situation où les médias marchent sur la corde raide. D’autant plus qu’ils n’ont pas le choix de sortir de leur réserve, jouant aussi le rôle de courroie de transmission pour les demandes d’aide, les collectes de fonds, etc.
[…]
« Mais déjà vendredi, sur notre site Internet, des lecteurs lançaient un débat: y a-t-il trop de journalistes à Haïti? Nuisent-ils à l’organisation des secours?
Il est indéniable que l’on a absolument besoin des médias sur place pour témoigner de la situation, et les journalistes qui y sont envoyés doivent travailler dans des conditions difficiles, alors qu’ils baignent vraiment dans l’horreur, avec tous ces morts sur les trottoirs, et ces blessés «stationnés» dans des parcs sans aucun médicament.
Évidemment, quand on voit la vedette de CNN, Anderson Cooper, braquer son micro sur les cris d’une jeune adolescente qui était ensevelie sous les décombres pendant que des secouristes tentaient de la sortir de là sans aucun outil, on a vraiment le goût de lui dire «lâche ton micro et va donc les aider à soulever le morceau de béton!» (la jeune femme a finalement été sauvée).
Pourtant, on doit accepter le fait que les médias se ruent en troupeau dans les rues de Port-au-Prince, parce que de toute façon le silence médiatique serait pire. Et le nombre de médias sur place est une garantie que l’organisation de l’aide sera surveillée. Peut-être pas une garantie à 100 %… mais croyez-vous vraiment que ce serait mieux si tous les médias partaient?
La présence de Radio-Canada, pour ne prendre que cet exemple, nous a fait prendre conscience samedi que le séisme avait fait d’énormes ravages à l’extérieur de Port-au-Prince, ce que l’on ne savait pas encore. Car Radio-Canada semble avoir été un des premiers médias à se rendre dans d’autres villes que la capitale, pour constater un degré d’horreur aussi élevé.
Tout est dans la façon de montrer les choses. Cette fin de semaine, TVA a diffusé un reportage de Richard Latendresse qui n’a vraiment pas fait honneur à la profession. Le journaliste a poursuivi un camion qui venait de ramasser des corps, se mettant lui-même en scène sans vergogne comme si l’on était dans un film («on va le suivre, on ne sait pas où il s’en va»), répétant sans cesse d’un ton mélodramatique que l’on était en train de voir des cadavres, filmant sans aucun problème le déversement de corps dans une décharge (ça peut se raconter à l’écran sans être obligé de le montrer!), terminant son reportage avec cette phrase insultante: «C’est n’importe quoi.»
[…] »
J’abonde dans le sens du commentaire de Paul Cochon. Pour moi, la question n’est pas sur la quantité de médias, mais sur sa qualité. Le problème est qu’il y a trop d’information spectacle et de médias médiocres, pour être gentil. En fait, ici comme là-bas, il y a un manque criant de bon journalisme.
4 Comments
Vraiment intéressant l’article. Beaucoup de bonne question mais je pense une seule bonne réponse: «le silence médiatique serait pire» Pleins de contradictions, plein de questionnement en faisant ce travail mais une chose prime: le respect. Un respect où l’on ne juge pas ce que le n’ont ne connait pas. Un autre pays, d’autres façons de faire, d’autre mœurs, et ici une catastrophe sans précédent, une réponse sans précédent. Qui à raison qui à tort ? personne…
Troublé par le récit du reportage de TVA / Richard Latendresse….
@Renaud Philippe
Et bravo Dominic, j’ai hâte que l’on se pose et qu’on en discute.
Et quand un Haïtiens dit merci, merci de partager au monde une souffrance, alors tout prend son sens. Et quand une seule personne choisi d’aider, touché par des images dans lesquelles comme humains on s’identifient, alors là aussi, tout prend son sens.
Salut Renaud!
Bon retour!
Je mets un lien vers le reportage que tu as réalisé à Haïti.
http://www.stigmatphoto.com/fr/reportages.php?id=19
Au plaisir de se rencontrer prochainement et de poursuivre la discussion sur la relation média et catastrophe humaine…
À bientôt
Dominic